Quitter le métier, une tendance en forte augmentation

samedi 20 janvier 2024

Le statut de fonctionnaire titulaire, en contrepartie d’un accès par concours, garantit l’emploi (contrairement aux
secteurs de droit privé où les contrats à durée indéterminée (CDI), très stables aussi, sont susceptibles de licenciement).
Pour les fonctionnaires d’Etat, l’employeur a obligation de trouver un emploi à grade égal en cas de suppression de poste ; notre carrière est donc assurée à vie.
Pourtant ces dernières années ont connu une hausse importante des collègues qui « fuient » le métier (voir le tableau ci-dessous).

Pourquoi ?

Comment se fait-il que notre métier (car c’est bien un métier qui s’apprend et non une vocation), après une formation longue et un concours difficile, avec autant de vacances (comme le rappellent régulièrement les médias malhonnêtes) soit de plus en plus abandonné (même si le taux d’abandon reste relativement faible au
regard du nombre global des personnels) ?
La croissance des démissions touche de nombreux pays et est désormais un problème public à l’échelle internationale.
Peu nombreuses, les recherches existantes pointent le rôle central des conditions de travail et d’emploi dans les motivations de départ. La précarité des statuts, l’alourdissement et la multiplication des tâches, les relations
conflictuelles avec la hiérarchie, contribuent ainsi à expliquer l’usure enseignante.
Les enseignant·es français·es sont nombreux·ses à se dire professionnellement insatisfait·es. En 2016, 88% des interrogé·es déclaraient avoir l’impression d’une dégradation de leur métier ces dernières années (contre 63% des répondant·es d’une autre profession). “Stressé·es”, “impuissant·es”, “déçu·es” et “en colère” sont les qualificatifs arrivant en tête des expressions des enseignant·es. La proportion de jeunes enseignant·es ayant le
sentiment d’exercer un métier “plutôt dévalorisé aux yeux de la société” est passée de 78% en 2004 à 91% en 2013. Les enquêtes syndicales récentes montrent que ce sentiment négatif s’est encore accru depuis la crise Covid.

Les conditions de travail jouent un rôle décisif dans les motifs de départ des enseignant·es. Leur dégradation résulte de la mise en œuvre des nouvelles formes de gestion publique. Sous prétexte de modernisation, les enseignant·es doivent rendre compte des résultats de leurs actions aux usagers dans des procédures
responsabilisantes. Les processus d’évaluation externe, le suivi des indicateurs de performances et les logiques
comparatives de la Nouvelle Gestion Publique (New Public Management) exercent une pression croissante sur les enseignant·es.

Comment et pourquoi devenir professeur·e des écoles ?

Le salaire ? Une baisse tendancielle vers le SMIC est combattue à grands renforts de revalorisation des débuts de carrière mais qu’en est-il en réalité ? Déjà, avant l’inflation qui aura marqué l’année 2022, la perte de 30% en termes de pouvoir d’achat par rapport aux années 1980 était constatée et mise en avant. Les effets sur la vie des jeunes enseignant·es sont frappants, en particulier pour le logement à un moment où la spéculation immobilière renchérit les loyers. Les nominations, souvent au dernier moment et provisoires, dans un lieu éloigné de la ville universitaire où les études ont été faites ou éloigné du domicile familial entraînent une recherche de logement en urgence, et c’est une ponction d’environ un tiers du salaire à venir.

L’image de l’ascension sociale obtenue par un concours est révolue, notamment pour les enseignant·es du premier degré. Les débuts de carrière se font en moyenne à 23 ans ou... à la quarantaine, car de plus en
plus d’enseignant·es ont eu une première carrière dans le privé avant de passer le concours. Faisant souvent un sacrifice en terme de salaire, ces collègues ne retrouvent pas les avantages attendus en compensation et découvrent alors les inconvénients et les rigidités de l’administration : mutation lointaine, infantilisation et caporalisation de la hiérarchie, exercice difficile du métier sur des postes délaissés par les enseignant·es
expérimenté·es…
La première année d’exercice, que le chercheur Michael Huberman a dénommé « phase de survie », est souvent un choc. Nommé·es sur des postes peu demandés et souvent difficiles et/ou éloignés, peu ou pas
accompagné·e, sommé·es d’être efficaces et performant·es, connaissant la difficulté d’obtenir un poste de titulaire, les jeunes collègues vivent mal leur début dans le métier, et le hiatus entre le métier rêvé et le métier réel est parfois violent.

L’état des lieux n’est pas meilleur pour les collègues expérimenté·es. Ils soulignent la dégradation de leurs conditions de travail : fréquentes réformes obligeant à se réapproprier de nouveaux programmes, voire à ré-agencer leurs temps et modalités de travail, injonctions contradictoires, accroissement de leurs obligations
professionnelles, pression hiérarchique, dégradation des relations avec les collègues ou les parents d’élèves...
Alors de plus en plus de personnes, non seulement ne se tournent plus vers les métiers de l’enseignement mais même s’en détournent. Ils se mettent en congé ou en disponibilité, se réorientent vers un autre métier (de la fonction publique ou du privé), démissionnent. C’est un constat d’échec patent pour les gouvernements
successifs… A moins qu’il s’agisse d’une volonté de dégradation du service public et d’un recours assumé à de plus en plus de personnels contractuels ?

Dernier constat avant explosion ?

Le rapport « École primaire, école pour tous ? », résultat du baromètre du climat scolaire dans les écoles du premier degré par l’Autonome de Solidarité Laïque, décrit une école où le climat scolaire s’est dégradé.
S’il était satisfaisant pour plus de 73% des répondant·es en 2016, il ne l’est plus que pour 58,5% en 2023. En parallèle, 40% d’entre iels se disaient insatisfait·es de leur métier, ce taux a grimpé à 52% en six ans.
Ce rapport alerte sur une profession en mal de reconnaissance, qui se sent méprisée par sa hiérarchie, que l’école inclusive bouscule faute de formation…

Trois points sont évoqués par les enseignant·es du premier degré ayant répondu à cette enquête : le mépris
institutionnel dont Blanquer et Macron sont les archétypes (Les dernières mesures ou réformes préconisées pour « améliorer » l’école sont largement perçues au mieux comme ignorant la réalité vécue sur le terrain, au pire comme des attrape- couillons cyniques. Le « fameux Pacte » en est un exemple.), une remise en cause de l’école inclusive (voir infra) et une formation initiale et continue inconsistante et déconnectée de la réalité des classes et des besoins réels des équipes (dans sa forme et ses contenus).
L’école inclusive telle qu’elle est pratiquée est un fort élément de déstabilisation des équipes enseignantes. L’école inclusive a généré l’embauche de beaucoup d’AESH, mais sans qu’iels ne soient ni accompagné·es, ni outillé·es, ni formé·es, les empêchant de répondre aux nécessités de l’école inclusive. La mutualisation par les
PIAL a dégradé leur métier, et la fusion annoncée des AED et des AESH en ARE (Assistant·es pour la réussite éducative) nie les spécificités des métiers et ne facilitera pas l’inclusion des élèves dans les classes, bien au contraire. Les enseignant·es demandent plus de RASED et des AESH titulaires, correctement formé·es et payé·es. Au risque d’un rejet (dramatique) par la profession du principe même de l’inclusion et d’une nouvelle hémorragie d’AESH et d’enseignant·es.

Quitter, mais pas n’importe comment

Face à ce sombre tableau d’un système éducatif en décomposition, il n’est donc pas étonnant de constater la fuite de collègues vers d’autres métiers.
Ne pas démissionner. C’est le premier conseil que l’on donne à un·e collègue qui souhaite quitter le métier. Car la démission obère toute possibilité de retour. Il existe d’autres solutions pour sortir d’un métier qui use, qui a déçu des attentes, qu’on n’a plus la force d’exercer (quelles qu’en soient les raisons) : congé sans solde, mise en disponibilité, congé formation, détachement, rupture conventionnelle… Les solutions existent. Solliciter votre syndicat avant toute décision.
D’autant que la démission ou la rupture conventionnelle peuvent être refusées par l’administration...

Alors rester ? Pourquoi ?

Parce que c’est quand même un beau métier que d’enseigner. Et que l’immense majorité d’entre nous l’a choisi.
Parce que nous avons à cœur, par le service public d’éducation, de donner à chacun une éducation propre à faire de chaque enfant, adolescent·e, un·e citoyen·ne autonome, libre de penser par ellui-même, pour ellui-
même et pour la société. Pour une société plus juste, plus égalitaire et plus écologique. Parce que nous avons à cœur de lutter pour que les conditions de travail de tous les personnels de l’éducation s’améliorent fortement et que notre métier, si particulier, continuent à attirer et à garder ces professionnel·les.

C’est le sens de notre engagement à SUD éducation dans l’Éducation nationale.


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